Amélioration des indemnités en cas de divorce dans l'agriculture
La motion 19.3445 "Indemnisation équitable des conjoints et des partenaires enregistrés d'agriculteurs en cas de divorce" a été déposée au Parlement fédéral en 2019 et transmise par les deux Chambres. La Confédération a maintenant présenté une proposition de mise en œuvre à l'automne 2023 et l'a mise en consultation.
L'équipe du projet "Femmes dans l'agriculture : rendre visible, renforcer et mettre en réseau" de Vision Landwirtschaft et de la HESA-HAFL a élaboré une prise de position sur le projet de loi en s'appuyant sur les résultats obtenus jusqu'à présent dans le cadre du projet et sur sa longue expertise du thème des femmes dans l'agriculture. La voie proposée par la Confédération est insuffisante pour la mise en œuvre dans la pratique. Nous proposons des mesures supplémentaires et des adaptations de la loi.

L'entreprise familiale traditionnelle comme norme
En Suisse, l'exploitation agricole familiale est la forme habituelle d'exploitation agricole. Le droit patrimonial et successoral de l'agriculture est ancré dans une loi fédérale spéciale sur le droit foncier rural (LDFR). Une exploitation familiale se caractérise par le fait qu'elle est composée d'au moins deux générations et que la coopération et la solidarité règnent entre les générations. Elles travaillent ensemble et se soutiennent mutuellement. L'entreprise familiale se caractérise en outre par la transmission de l'exploitation d'une génération à l'autre, ce qui implique que des enfants naissent et sont socialisés en tant que successeurs potentiels (Nave-Herz 2006). S'inspirant du modèle familial bourgeois, dans lequel le travail productif et le travail reproductif étaient séparés et le rôle de la femme réduit à des tâches d'entretien non rémunérées (p. ex. Folbre 2001), un idéal d'"exploitation familiale paysanne traditionnelle" s'est développé. Celui-ci considère l'homme comme le chef de famille et le directeur de l'exploitation (Brandth 2002 ; Little 2006) ainsi que comme le propriétaire et le responsable des travaux de l'exploitation. La femme, quant à elle, est responsable du travail familial et du ménage et peut en outre être employée comme main-d'œuvre flexible sur l'exploitation (Koller 1965).
Le rôle méconnu des femmes dans l'agriculture
Grâce aux processus de changement dans la société et la politique, cette image traditionnelle des rôles, y compris les domaines de travail strictement attribués, s'estompe lentement. Les femmes assument par exemple des tâches importantes en travaillant à l'extérieur de l'exploitation ou en diversifiant leurs activités au sein de l'exploitation et contribuent à améliorer le revenu de l'exploitation (Contzen 2013). Il est en outre prouvé que les femmes sont des moteurs positifs d'une agriculture innovante et durable (Fhlatharta et al. 2017 ; Serpossian et al. 2022) et qu'elles assument un rôle important dans les processus d'adaptation (Heggem 2014). Elles jouent donc un rôle essentiel dans la transformation vers une agriculture plus durable et plus écologique.
Lois datant en partie de 1951
Jusqu'à présent, les adaptations légales aux nouvelles réalités des familles paysannes n'ont eu lieu que de manière très hésitante. Ainsi, dans la loi fédérale sur le droit foncier rural actuellement en vigueur, plusieurs réflexions de base - notamment en ce qui concerne la protection sociale du conjoint/partenaire - datent de la loi précédente de 1951. En règle générale, le chef d'exploitation est enregistré en tant qu'indépendant, tant auprès de l'AVS que du fisc. En revanche, la protection sociale de la partenaire travaillant sur l'exploitation (dans la grande majorité des cas, ce sont toujours les hommes qui possèdent l'exploitation et les femmes qui y travaillent) n'est pas suffisamment ancrée dans la loi. Si elle n'est pas déclarée et rémunérée comme employée, sa contribution économique ne doit pas figurer dans le compte d'exploitation (et donc dans la déclaration d'impôts). Une autre lacune grave est que ses biens propres ne doivent pas être déclarés, qu'il s'agisse du salaire d'un emploi hors de l'entreprise ou même des biens propres apportés dans le mariage/le partenariat. Ainsi, leurs fonds propres disparaissent complètement dans le compte d'exploitation et ne peuvent plus être justifiés a posteriori. Même si l'exploitation reçoit des aides financières publiques de centaines de milliers de francs pour des mesures d'amélioration structurelle (p. ex. construction d'une nouvelle étable), le législateur n'exige pas de preuve du versement d'un salaire à la partenaire qui travaille dans l'exploitation. La conséquence de cette couverture légale insuffisante est qu'en cas de divorce, la partenaire du chef d'exploitation ne peut pas justifier de sa prestation économique passée, ce qui la désavantage fortement et la laisse souvent face au néant financier.
La Confédération mise principalement sur le conseil
Afin de combler cette lacune - qui ne concerne que l'agriculture mais pas tous les autres indépendants - une motion (19.3445) a été déposée au Parlement fédéral en 2019 et transmise par les deux Chambres. La Confédération a maintenant présenté une proposition de mise en œuvre à l'automne 2023 et l'a mise en consultation.
La motion demande notamment que les membres de la famille travaillant dans l'exploitation agricole participent au revenu agricole (les acquêts), soit par le versement d'un salaire en espèces, soit en tant qu'indépendants. Les membres de la famille qui travaillent dans l'exploitation et qui ne participent pas aux acquêts doivent bénéficier d'un droit légal à une indemnité équitable en cas de divorce.
Au lieu de proposer une solution juridiquement propre, la Confédération va maintenant dans une autre direction et veut résoudre le problème par des consultations. Comme condition préalable à l'octroi d'aides financières de l'Etat pour des améliorations structurelles individuelles, les deux partenaires doivent soit se faire conseiller conjointement en matière de régime matrimonial et de réglementation de la collaboration, soit apporter la preuve du versement d'un salaire en espèces ou de l'octroi d'une part du revenu agricole. Mais ils peuvent aussi faire les deux.
La protection sociale reste insuffisante
L'équipe de projet tire des conclusions plus approfondies des connaissances acquises dans le cadre du projet et de la longue expertise sur le thème des femmes dans l'agriculture : Selon différentes études et enquêtes, la situation des femmes dans l'agriculture est plus négative que ce qui est présenté dans le rapport de la Confédération. Malgré les progrès réalisés, il est urgent d'améliorer l'indemnisation et la protection sociale des conjoints/partenaires travaillant dans l'agriculture.
La proposition de commencer par la vulgarisation doit être examinée d'un œil critique. Différents projets de sociologie agricole de la HESA-HAFL indiquent que les agents de vulgarisation agricole ont des inhibitions à aborder des thèmes "sociaux" dans le cadre de la vulgarisation. Ces inhibitions se rapportent d'une part au fait que les conseillers ne se sentent pas assez compétents, d'autre part au fait qu'ils ne veulent pas s'immiscer dans les affaires privées de la famille paysanne. Une étude récente de la HESA-HAFL a montré, en ce qui concerne la protection sociale des conjoints aidants, que les représentations traditionnelles des rôles des sexes des conseillers peuvent également jouer un rôle.
L'adaptation de la loi proposée n'est qu'un premier petit pas vers l'alignement du régime matrimonial et social de l'agriculture sur celui du reste de la population. C'est pourquoi l'équipe de projet a proposé des mesures supplémentaires pour améliorer la situation des conjoints/partenaires dans l'agriculture, y compris des adaptations législatives dans le droit foncier rural et dans les dispositions relatives à la prévoyance professionnelle. En outre, il convient d'éliminer les incitations erronées en matière de déductions fiscales et de procéder à des adaptations en matière d'indication des prêts dans le cadre des aides publiques à l'investissement.